A Monsieur et Madame FRAIKIN, qui m'ont guidé sur les chemins du Savoir, avec toute ma respectueuse reconnaissance.
A tous mes professeurs, à qui je dois ce qui m'a permis de réussir une vie.
Pendant près de trois quarts de siècle, le Collège d'Hirson a accueilli des milliers d'élèves qui y ont passé des années plus ou moins studieuses qui ont probablement laissé à tous nombre de souvenirs.
J'en parle au passé, bien qu'il existe toujours un collège à Hirson, mais ce n'est plus celui dont il sera question ici. Il sera question d'une vieille bâtisse inconfortable et parfois vétuste dans laquelle ont vécu et travaillé des générations d'élèves jusqu'à son remplacement au début des années 60.
Contemporain de l'Ecole de Jules Ferry, le Collège d'Hirson a été pour nombre d'entre nous la porte d'entrée dans la vie, une étape marquante pour un certain nombre qui ont ensuite fréquenté des écoles combien plus prestigieuses.
Sa carrière a cessé, comme on prend sa retraite, à un moment ou les choses changeaient. Il serait devenu « ringard » comme on dit aujourd'hui, mais il a cessé d'exister en même temps que disparaissait le mode de vie qu'il représentait.
J'y ai passé cinq années, les deux premières comme interne, jusqu'au baccalauréat. Cinq années qui ont en grande partie orienté celles qui ont suivi. Pour tous ceux qui ont connu le collège d'Hirson, j'espère que ces lignes leur rappelleront des souvenirs communs. Pour les plus jeunes qui ne l'ont pas connu, cela pourra peut-être leur faire découvrir ou comprendre une époque disparue à jamais, celle de notre jeunesse.
Les photos qui figurent cette évocation sont bien 'plus anciennes que l'époque en question puisqu'il s'agit de cartes postales des années 1900. Cependant, presque rien n'avait changé entre-temps et ce sont les seuls documents que j'ai pu trouver illustrant le mieux possible les lieux et situations. Une manière de réaliser que le grand bouleversement du cadre de vie traditionnel n'a vraiment démarré qu'à cette époque.
La rentrée des internes
Accompagné de mes parents, nous avions rencontré Monsieur le Principal, et il avait été décidé que j'entrerais au Collège à la prochaine rentrée.
Habitant à 10 kilomètres d'Hirson, les horaires de bus étaient incompatibles avec les cours, et à l'âge de 12 ans il n'était pas question de faire quotidiennement ce trajet à vélo. Il va sans dire que le ramassage scolaire
n'existait pas et que les parents avaient autre chose à faire que de conduire les enfants à l'école en voiture. Il aurait d'abord fallu en avoir une. Je serai donc pensionnaire.
Ce n'est pas la première fois que je quitte la maison, j'ai déjà été en colonie de vacances, mais la vie de pensionnaire est une chose nouvelle à laquelle il faut s'habituer. Installation au dortoir après attribution du lit, puis il faut monter à ce qu'on appelle le (( vestiaire » pour y déposer valise et vêtements, en ne gardant au dortoir que le strict nécessaire: trousse de toilette et pyjama, car il n'y a pas d'armoire, juste une tablette et un petit casier entre les lits.
Blouse et cartable neufs, nous voici maintenant en salle de cours jusqu'à midi, étape suivante de la découverte de la vie de pensionnaire. On passe au réfectoire ou les tables s'organisent par classes. Découverte des nouveaux congénères, qui deviendront ou pas des copains. Mieux vaut voisiner avec qui on va sympathiser, mais c'est une loterie, et les places ne changeront pas en cours d'année. Premier repas, mais ce n'est pas encore la vie d'interne, il y ales demi-pensionnaires qui déjeunent au collège et rentrent chez eux le soir.
L'après-midi se passe et commence la première soirée du nouveau pensionnaire. Après une courte récréation, direction la salle d'étude. A nouveau, affectation des places, on s'organise et le temps passe vite jusqu'au dîner. On retrouve les places de midi dans un réfectoire moins rempli. Le repas expédié, retour à l'étude, puis direction le dortoir. Quelques bavardages, les lumières s'éteignent. La première journée de pensionnaire se termine. Une routine qui va se répéter jour après jour jusqu'a la fin de l'année scolaire, et aussi les années suivantes.
Dans leurs lits, les nouveaux pensent bien fort à la maison, aux habitudes qu'il a fallu abandonner, aux parents qu'on embrasse avant d'aller se coucher. Dans l'obscurité, on entend par ci par là des sanglots étouffés. Le pion fait sa ronde pour vérifier que tout est calme avant d'aller se coucher.
La vie de pensionnaire a commencé.
Dans les années 50, le dortoir était presque identique à cette vue prise un demi siècle plus tôt 21 h ou 21 h 30, je ne me souviens plus exactement, sortie en plus ou moins bon ordre de la salle d'étude vers le dortoir. Comme il n'existait aucun couloir on sortait en passant par la cour pour longer le bâtiment. En hiver, il fallait donc affronter le froid de la nuit ce qui représentait une bonne entrée en matière, le dortoir n'étant pas chauffé.
Direction l'extrémité du bâtiment ou se trouve l'escalier du dortoir, précédé par le local à chaussures. Dans cette pièce exiguë aux murs tapissés de casiers, nous mettons les pantoufles et rangeons les chaussures. Le cirage, c'est pour le matin. Montée au dortoir, avec les valises le lundi pour ceux qui sont rentrés le matin. Pas d'armoires ni de casiers près des lits, tout se trouve dans le grenier situé au dessus du dortoir, l'accès se fait sous le contrôle des surveillants. Pas pratique pour les imprévoyants.
Le dortoir est une immense pièce qui occupe presque toute la longueur du b âtiment avec les lits alignés de part et d'autre.
Aucune cloison ou séparation, au milieu des cloisons délimitent une alcôve ou couche le surveillant de permanence. En quelques instants, la pièce prend des allures de roche bourdonnante, chacun se déplaçant ici et là pour aller discuter ou chahuter avec des copains situés plus loin tandis que le surveillant tente de maintenir un semblant d'ordre. Vient l'heure du coucher et de l'extinction des lumières. Le calme revient et le silence s'établit peu à peu, troublé par des chuchotements et l'ombre silencieuse du pion qui veille. Tout le monde s'endort, le silence ne sera plus troublé que par un rêve, des ronflements sonores ou le fracas d'un lit « viré » suivi d'une cavalcade de pieds nus pour regagner son lit avant d'être surpris par le pion réveillé en sursaut qui vient de jaillir de son alcôve.
« Il faut manger pour vivre, et non vivre pour manger », nous vivions cette maxime tous les jours au réfectoire du Collège.
Gastronomes, passez votre chemin aurait pu être la devise secondaire. La nourriture était certes copieuse, mais simple et frugale. Peu d'entre nous étaient habitués aux raffinements culinaires, mais le cuisinier du Collège aurait eu du mal à décrocher une quelconque distinction gastronomique.
L'ordinaire généralement peu enthousiasmant se gâtait carrément les vendredis ou le hareng bouilli était au menu.
Contrairement à pas mal d'enfants, j'aimais plutôt le poisson, y compris les harengs saurs grillés que l'on apprécie particulièrement dans le Nord, mais ces harengs bouillis nous répugnaient à presque tous. Cette aversion contrariait beaucoup le Principal, Monsieur HARLE qui, ces jours-là arpentait le réfectoire pour débusquer les réfractaires et les forcer à venir à bout de cette pelote d'arêtes noyée dans une chair cotonneuse.
Les autres spécialités du chef ne m'ont pas laissé cette impression, pas d'impression du tout à vrai dire. Nous étions nourris, et pour le reste on s'en remettait à la caisse à provisions qui suppléait à bien des choses. L'accès n'y était autorisé qu'au petit-déjeuner et au goûter, mais les larges poches de nos blouses permettaient de pallier ce problème à condition de rester discret, car je crois bien me souvenir que les provisions personnelles étaient interdites lors des repas de midi et du soir.
Un souvenir est étroitement associé aux délices gastronomiques du réfectoire : c'est l'énorme steak frites que me préparait ma mère le samedi midi à mon retour à la maison !
Un bien grand mot, pour un équipement réduit à sa plus simple expression. A côté du dortoir, les lavabos étaient ces longues auges semi-circulaires surmontées d'une rampe délivrant uniquement de l'eau froide. Pas de chauffage ici, ni dans le dortoir contigu d'ailleurs pour raisons de sécurité. Ces conditions ne choquaient personne, la salle de bains et l'eau courante étant encore peu répandues dans les campagnes d'où venaient la plupart des internes- Ne parlons même pas de l'eau chaude.
L 'honnêteté oblige à reconnaître que le peu de commodités mises à notre disposition, la toilette nous privait assez peu. Les surveillants nous obligeaient certes à passer par la case « lavabo » mais se souciaient assez peu que nous fassions un usage abondant ou modéré de l'eau mise à notre disposition. En cas de grand froid, l'absence de chauffage faisait que les canalisations gelaient, tranchant ainsi la question.
La salle d'étude
La salle d'étude jouit d'un statut particulier par rapport aux autres salles de classe. Avec le dortoir, c'est un peu le domaine des pensionnaires, bien que son accès ne soit autorisé que pendant les heures d'étude. Chacun y dispose d'un pupitre fermé par un cadenas ou il range livres, cahiers et instruments divers sans oublier les trésors personnels de gamins, licites ou pas, soigneusement cachés dans ce dernier cas. Peuvent y trouver place aussi quelques livres, à condition d'avoir été préalablement autorisés, mais pas d'illustrés ou quoi que ce soit d'autre, provisions par exemple.
Le chauffage des salles
En l'absence de chauffage central, le chauffage était assuré par des poêles à charbon partout, sauf à l'étage de l'internat pour des raisons de sécurité. Le dortoir et les lavabos n'étaient donc pas chauffés.
Pendant les séances d'étude, un surveillant est installé à une sorte de chaire sur l'estrade et vérifie que chacun fait son travail ou étudie ses leçons. Bavardage interdit évidemment, ainsi que tout divertissement. Seule la lecture d'un livre est autorisée après avoir prouvé que les devoirs sont faits et les leçons apprises. Le seul moyen d'évasion est la rêverie en ayant l'air absorbé par l'étude d'un livre de classe, mais dans ce cas le pion veille pour détecter une activité inférieure à la moyenne.
Bien entendu, les interdits sont faits pour être bravés, et nombre de parties de bataille navale ou de morpion ont lieu clandestinement, avec plus ou moins de facilité scion la vigilance et la sévérité du surveillant. Il arrive parfois que ce soit lui qui s'endorme, et l'on prend alors grand soin de ne pas le réveiller, ce que permettent les jeux précités. En pareil cas, celui qui par maladresse ou bêtise se met à faire du bruit réveillant le pion encourt l'opprobre général.
Les baraquements
Les salles de classe étant insuffisantes, des baraquements avaient été édifiés dans un coin du jardin attenant. Ces baraquements tout en bois, parfois disjoints ici et là avaient probablement fait une carrière militaire au préalable. Les professeurs ne devaient pas beaucoup les aimer, contrairement à nous qui leur trouvions beaucoup d'avantages n'allant pas forcément dans le sens d'une grande adaptation à leurs fonctions.
Tout d'abord, leur situation excentrée les situant loin des bureaux du Surveillant Général et du Principal, un chahut ou une ambiance sonore une peu élevée avaient moins de chance de déclencher une intervention immédiate de ceux-ci. Il faut dire que certains professeurs avaient le plus grand mal à maintenir l'ordre dans leur classe déjà !
Ensuite, n'ayant pas été conçus pour un usage scolaire, les fenêtres étaient à faible hauteur et les vitres claires permettaient de regarder dehors ce qui, comme chacun sait est bien plus intéressant que de regarder constamment le tableau. On réalise d'ailleurs assez malle nombre de choses anodines qui deviennent soudain passionnantes lorsqu'elles se passent devant la fenêtre d'une salle de classe.
Enfin, les planches disjointes et les planchers branlants avaient un petit air de cabane qui contrastait avec la rigueur des murs lisses et nets des salles principales, saris compter l'atout secret de l'une des salles dont une fenêtre non verrouillée donnait sur l'extérieur. Combien de sorties clandestines cette fenêtre a-t-elle permis ?
Un jour, on nous a annoncé que des préfabriqués seraient construits pour la rentrée suivante. C'en était fini de nos baraques pleines de courants d'air.
Chaque salle était donc munie de son poêle Godin auprès duquel trônait une caisse à charbon, qu'il fallait remplir régulièrement. C'était la responsabilité des élèves, à tour de rôle, de vérifier avant le cours si la caisse devait être remplie et d'approvisionner le feu.
(heureusement, les Godin sont à toute épreuve), et nous aurions pu mettre le feu à ces fragiles baraques de bois.
Pendant les récréations, on pouvait donc voir des équipes de deux portant une caisse à remplir au tas de boulets qui se trouvait au fond de la cour. C'était considéré plus comme une distraction qu'une corvée, d'autant que cela permettait certains mauvais coups favorisés par la nature du combustible. Les boulets étant constitués de poussière de charbon agglomérée par un liant se désagrégeaient assez facilement, laissant au fond du tas une~épaisse couche de poussier de charbon. Certains en prenaient une bonne quantité qu'ils chargeaient dans le poêle au dessus d'une couche de boulets normaux. Lorsque ceux-ci devenaient incandescents, la poussière s'enflammait d'un seul coup, provoquant une déflagration plus ou moins violente, qui s'apparentait parfois à une explosion. Evidemment, ce genre de bêtise se pratiquait avec certains professeurs et surtout pas avec d'autres. Inconscience de gosses, les poêles auraient pu exploser
Le printemps revenu, on laissait les feux s'éteindre, mais ils s'éteignaient aussi parfois au cours de l'hiver, quand la livraison de charbon se faisait attendre. Alors on rajoutait un pull, gardait le cache-nez et des gants que l'on enlevait pour écrire avec des doigts un peu gourds.
Les préfabriqués
Les baraques dont j'ai parlé devenant de plus en plus vétustes et insuffisantes, nous découvrîmes à la rentrée 58 je crois de nouveaux bâtiments préfabriqués qui avaient poussé pendant les vacances à la place de ce qui était auparavant un jardin. Luxe suprême, un large couloir sert de vestiaire entre les deux salles de classe que contient chaque préfabriqué. Tout sent le neuf, les murs sont clairs, de grands vitrages et des tubes fluorescents rendent les salles lumineuses par contraste avec les petites fenêtres et les ampoules pendues au plafond des vieux baraquements maintenant désaffectés. Un regret quand même, c'est qu'il a fallu supprimer ce jardin ou nous n'avions pas le droit d'aller -mais nous y allions parfois quand même.
Une de ces salles de classe restera dans ma mémoire comme un souvenir qui n'a rien de scolaire. Certains événements nous marquent à un tel point que nous nous souvenons toujours de ce que nous faisions en apprenant la nouvelle. C'est le cas pour ce jour de décembre 1959 ou un professeur nous annonça avant de commencer son cours que le barrage de Malpasset s'était rompu dans la nuit, causant plus de 500 morts.
L'apparition de ces préfabriqués annonçait la fin prochaine du collège. Exigus, sans confort les bâtiments ne permettaient pas d'extension sur place. Ce n'était qu'un pis aller en attendant la construction du nouveau collège dont on parlait depuis des lustres. Nous ne le savions pas encore, mais nous vivions les dernières années de notre vieux Collège.
Le Principal
Sans jeu de mots, le personnage principal du Collège. C'était ce Monsieur que l'on avait rencontré la première fois que nos parents étaient venus nous inscrire au Collège et avec, qui toute rencontre personnelle ultérieure était synonyme de gros soucis. En effet, un passage au bureau du Principal était souvent le prélude à une sévère punition. On pouvait aussi y être convoqué dans le cas d'une visite imprévue hors des horaires normaux ou d'un grave problème familial. Dans la plupart des cas, rien de bon. Le Principal ne faisait pas partie de notre univers, il y paraissait parfois, mais chacun avait le souci de ne pas se faire remarquer.
Tout dépendait aussi du caractère de cet important personnage. Celui qui était en fonction lors de mon entrée au collège,
Monsieur HARLE était de la catégorie des énergiques. D'un caractère rude, le mot discipline prenait tout son sens avec lui, il nous le faisait savoir et le montrait, parfois énergiquement.
Son apparition suscitait le calme. Elle l'accentuait lorsque l'atmosphère l'était déjà, mais le ramenait instantanément si l'ambiance était plus agitée. Ayant une solide formation technique, ses passages dans l'atelier suscitaient le respect, capable qu'il était de prendre la lime des mains d'un maladroit qui limait « en bateau » ou de montrer comment on se servait de n'importe quelle machine-outil.
Le cas était bien différent avec son successeur quelques années plus tard. Un bien brave homme que sa formation littéraire avait mal préparé au contact avec des élèves du technique. Les élèves sont prompts à repérer les lacunes et défauts. Lors de ses premiers passages à l'atelier il excellait, comme la plupart des néophytes, dans l'art de se tenir juste à l'endroit ou il ne fallait pas. Après quelques costumes copieusement aspergés d'huile soluble malencontreusement projetée par des mandrins de tour, il cessa d'y mettre les pieds. Aucun n'aurait agi de même avec son prédécesseur qui aurait détecté le début de préparation d'une manœuvre qui n'avait rien de fortuit.
Le Surveillant Général
Le Surveillant Général était, pour nous les élèves et plus particulièrement les internes le~personnage investi de tous les pouvoirs, surtout celui de prononcer des colles et des privations dé sortie. Combien redoutées ces colles qui retardaient d'autant le retour à la maison le samedi après-midi, voire l'interdisaient totalement dans les cas plus graves.
Dans ce rôle, Monsieur THIEUX n'était pas méchant homme, sévère mais juste autant que je puisse savoir, n'ayant jamais eu maille à partir avec sa fonction.
Monsieur et Madame FRAIKIN
De tous les professeurs que j'ai connus au Collège d'Hirson, Monsieur et Madame FRAIKIN occupent une place à part. Je suis certain que ce sentiment est partagé par tous ceux qui les ont connus et appréciés.
« Garchon », « Servais » ou «Chervais » font partie des surnoms affectueux que nous avions attribués à Monsieur FRAIKIN à cause de son prénom et de sa façon de parfois transformer les « s » et « c » en « ch ».
Des surnoms certes, quel professeur y a échappé, mais avec respect et affection. Le respect, il nous l'imposait par sa carrure et sa poigne, dont il n'usait que de manière exceptionnelle, mais surtout par la conviction qu'il mettait dans son enseignement. Personne ne se serait risqué à troubler un de ses cours, qui du reste étaient passionnants. Et pourtant, maths, physique et mécanique ne sont pas les matières les plus faciles, mais il avait le privilège de nous éclairer tout cela. Madame FRAIKIN, toute menue par rapport à son mari était autant respectée, sinon plus. Un simple regard courroucé suffisait à terrasser n'importe quel fauteur de trouble qui, de plus, pensait au prochain cours de maths, physique ou mécanique. Et elle aussi savait nous intéresser à ce qu'elle nous enseignait.
Et qui ne se souvient, à la fin des cours, de les avoir vu quitter le collège, lui marchant à grandes enjambées comme à son habitude, elle trottinant à ses côtés faisant trois pas pendant qu'il en faisait un. Une image gravée dans la mémoire de centaines d'entre nous, celle d'un couple de professeurs exceptionnels, qui ont à coup sûr contribué à la réussite dans la vie de nombre de leurs élèves.
Monsieur et Madame FRAIKIN, dont le plus beau titre ne figure nulle part : la réussite de leurs élèves. Quarante années plus tard, feuilletant avec eux leurs carnets de notes de cette époque où je figurais, nous évoquions la carrière de ces noms retrouvés. Le nombre de ceux qui ont fait une brillante carrière professionnelle y semble étonnamment élevé pour le modeste collège de province qu'était alors Hirson. Certains de leurs professeurs y sont certainement pour une grande part.
Monsieur CHAPELIER
Nous le surnommions « Chapeau », au double titre de son patronyme et du couvre-chef qu'il arborait en permanence.
Toujours très élégant, nous le voyions arriver coiffé de son inséparable feutre et presque toujours portant un pardessus, car il était extrêmement frileux. Son premier geste en entrant en classe était de poser soigneusement son chapeau à l'abri de la poussière et de la craie en prenant grand soin que rien ne puisse venir l'endommager.
Monsieur CHAPELIER enseignait le français, matière envers laquelle bon nombre de mes condisciples éprouvaient peu d'attirance, ce qui rendait la tâche ingrate. Très cultivé et possesseur d'une bibliothèque dont il aimait à faire profiter les rares qui parmi nous s'intéressaient à la lecture, il gardait distinction et élégance malgré le peu de considération que beaucoup manifestaient pour une discipline littéraire qu'il croyaient de peu d'importance dans la vie. Cependant, un aspect du personnage captivait tous ses élèves.
Monsieur CHAPELIER et son épouse aimaient voyager et effectuaient chaque année un périple lointain durant les grandes vacances. A la rentrée, il trouvait le moyen de mêler des épisodes du dernier voyage à son cours de français, moyen efficace de capter l'attention des moins motivés. Attention d'autant plus grande que les voyages étaient extraordinaires pour nous et à cette époque, et ils le seraient encore aujourd'hui, tel son voyage en Chine par le Transsibérien. La bibliothèque de Monsieur CHAPELIER lui permettait aussi de dépister les « copistes » qui lui présentaient tel quel des commentaires de texte qu'ils avaient trouvés dans un livre, qu'il possédait à coup sûr. Une fois cependant, m'étant livré à cet exercice à partir d'un ouvrage de la bibliothèque paternelle, bien fournie elle aussi, j'eus le plaisir de trouver en marge de mon commentaire copié la note suivante: « mais ou avez-vous donc copié ceci ? ». Il ne possédait pas le livre dont je m'étais inspiré, et je n'en fus pas peu fier.
« PEPERE » ,
Je ne me souviens plus de son vrai nom, tant ce surnom était usité et lui allait à merveille. J'en viens à me demander si d'autres professeurs ne; Je désignaient pas ainsi entre eux. ,
« Pépère » était Chef d'atelier, c'est à dire qu'il avait la haute main sur toute la partie proprement technique et les professeurs correspondants. Son surnom venait de son apparence et de son âge, proche de la retraite, s'il ne l'avait pas dépassé. Ce surnom était d'ailleurs plutôt affectueux, nos grands-pères avaient à peu près son âge et il leur ressemblait. En classe, il nous enseignait la technologie et leI dessin industriel. A l'atelier, il disposait d'un bureau vitré tout au fond d'où il pouvait surveiller ceux qui travaillaient sur les machines, tours et fraiseuses installées dans cette partie.
Il était je crois ingénieur des Arts et Métiers, issu d'une promotion d'avant la Guerre 14-18. Pour nous convaincre de la nécessité de nous appliquer en dessin industriel, il nous montrait parfois de superbes dessins techniques rehaussés au lavis de couleur tel que cela se pratiquait encore à son époque. La beauté de ces épures me faisait rêver et mesurer le chemin qui restait à parcourir depuis mes traits hésitants et irréguliers de débutant. Il a très certainement contribué à me faire découvrir la beauté technique qui m'a conduit longtemps après à collectionner livres et documents truffés de dessins techniques des siècles passés.
« Pépère » avait aussi une voix particulière, grave et rauque, un peu cassée et on aimait lui faire dire: « un beaauuu copeaauu bleuuu » quand il évoquait l'échauffement du métal et de l'outil au cours de l'usinage.
Monsieur LOZE
Sa principale fonction était professeur d'atelier, mais il donnait aussi quelques heures de cours de technologie en classe.
Quoique fort compétent dans son domaine, ce pauvre homme avait du mal à imposer le calme dans une classe. Certains meneurs en abusaient et lui menaient une vie impossible, allant même jusqu'à lui faire abandonner son cours.
Je me souviens l'avoir vu sortir en pleurant d'une salle où ses élèves l'avaient chahuté. Nous sortions de l'atelier pour nous rendre dans une salle voisine quand nous avons vu arriver le Principal, alerté par le vacarme, alors que pauvre homme sortait effondré de sa classe. J'y repense encore, parfois, en me disant que je n'aurais pas été fier si j'avais fait partie des énergumènes qui l'avaient ainsi humilié.
Monsieur HARY
Monsieur HARY, dit "Papa gouache"nous enseignait le dessin artistique. Nous étions réunis dans sa classe avec les sections " moderne " dont les élèves étaient plus réceptifs que nous à cette discipline. Pour nous, qui faisions plusieurs heures de dessin industriel par semaine, dessiner des potiches et les ombrer au lavis d'encre de Chine était considéré comme une perte de temps. Aussi le célèbre " Arrêter l'encre de Ssine " prononcé avec son zozotement qui nous amusait beaucoup était-il le moment le plus apprécié de cette séance hebdomadaire.
La photo choisie ici date de pas mal d'années avant ce récit, mais peu de choses avaient changé entre-temps. On notera que les écrans au milieu des établis avaient disparu et qu'une partie des étaux à pied avaient été remplacés par des étaux parallèles, l'attribution de ces derniers donnant lieu à une certaine compétition. Sur la droite, contre les vitrages avaient été installées une meule émeri et deux perceuses sensitives. Dans son ensemble, l'atelier était très semblable à cette photo.
Burin et marteau
Premier trimestre, classe de 4èmc. Pour certaines matières, les sections « Moderne » et « Technique » sont mélangées, mais on reconnaît les élèves de cette dernière à leurs mains pleines de pansements et de sparadrap. Normal. en ce moment ils apprennent le maniement du burin et du bédane à l'atelier.
En cours de technologie d'atelier, Monsieur LOZE nous a tout expliqué des principes du burinage et du bédanage, tant et si bien que nous en avions conclu, en paraphrasant Sully, que « burinage et bédanage sont les deux mamelles de l'atelier ».
Aujourd'hui, les petits malins vont découvrir les dures réalités de la pratique. Après avoir sorti nos bleus de travail de la caisse à outils, nous allons toucher notre pièce brute, un lourd parallélépipède d'acier doux. Après en avoir dressé trois faces à la lime, il faudra dégrossir et dresser la face supérieure au burin et y tailler une série de rainures parallèles au bédane. On avait déjà expérimenté les ampoules dans la paume de la main causées par le manche de la lime, reste à découvrir les coups de marteau sur les doigts.
Taper sur un burin semble facile au profane, mais c'est loin d'être évident surtout pour un gamin qui doit encore apprendre à coordonner des mouvements compliqués. Le marteau tape plus souvent qu'il ne le faudrait sur les doigts,
quand il ne ripe pas, à moins que ce ne soit le burin ou le bédane qui échappe. Dans ce dernier cas, c'est le bord de la main qui vient caresser un angle de la pièce. Les professeurs distribuent des sparadraps, et on continue.
Cette période a ses bons côtés. Burins et bédanes doivent être souvent affûtés, et la meule en grès se révèle un intermède apprécié d'autant plus qu'il faut être deux, l'un tournant la manivelle pendant que l'autre affûte l'outil. On bavarde et l'opération se prolonge, tout au moins jusqu'à ce qu'un professeur repère le manège et n'abrège la séance. Pendant ce temps, on regarde avec envie ceux qui sont autorisés à se servir de la meule émeri mûe par un moteur et donc réservée à ceux des plus grandes classes. L'année prochaine. ..
C'est l'heure de la fin de la séance d'atelier. Le vacarme des marteaux cesse, on nettoie les établis, balaie les copeaux et range les outils dans les caisses que l'on verrouille et place sous l'établi. Les mains meurtries vont bientôt reprendre le porte-plume. Les sparadraps et autres pansements montreront à coup sûr que ce ne sont pas celles d'un élève d'une section « Moderne ».
Aujourd'hui, c'est la première séance d'atelier, découverte d'un nouvel univers pour la plupart d'entre nous. Sagement rangés par deux devant la porte, nous pénétrons dans ce nouveau lieu. Un premier atelier ou sont alignés les établis auxquels notre place va être attribuée. Chacun s'installe, ouvre sa caisse à outils, enfile son bleu de travail tout neuf et prend possession de son étau. Déjà le professeur nous explique les règles du lieu, le règlement d'atelier, puis on passe aux choses pratiques. Pour apprendre à nous servir de la lime, nous allons commencer à réaliser notre première pièce. Pas bien compliquée, mais tout est à faire. On se retrouve donc arec un petit bloc métallique tout encroûté de l'oxydation du laminage qu'il faut éliminer à grands coups de lime d'Allemagne. On passe ensuite à l'ébauche en découvrant les joies du trait croisé sous l’œil attentif et critique du professeur qui rectifie ici une mauvaise tenue de la lime, là une position incorrecte des pieds.
Très importante, la position du corps pour limer correctement. On découvre au premier passage au marbre que ce n'est pas simple d'obtenir une belle surface plane, les faces de nos pièces ressemblent assez au moutonnement des collines de notre Thérache. Et nous les terriens, nous apprenons que nous avons le défaut de " limer en bateau". La séance se termine. Quelques minutes pour nettoyer étaux, établis et outils, ranger et fermer les caisses. Des ampoules à la paume des mains et aux doigts témoignent de notre manque d'accoutumance à ce nouvel exercice, mais on va s'endurcir.
Les rudiments des outils de base acquis, durement, vient le moment tant attendu d'apprendre à utiliser les machines-outils. Le terrain ayant été soigneusement préparé par le professeur de technologie, nous allons appliquer les préceptes, en commençant par calculer la vitesse de rotation de la perceuse avec laquelle nous allons percer quelques trous dans une pièce un peu plus complexe que les précédentes. C'est l'occasion de faire bleuir quelques forets, si ce n'est de les casser, au grand dam du chef d'atelier qui n'est visiblement pas ravi. Les plus adroits auront, eux, l'autorisation d'utiliser prochainement la perceuse à colonne, une manière de promotion appréciée qui fait la fierté des élus et cause le dépit des autres.
Au fil des classes, on passe ensuite au reste de la gamme des machines, particulièrement l'étau-limeur, très apprécié pour éviter le long et fastidieux dégrossissage à la lime. Évidemment, en gamins que nous sommes, c'est à qui fera la plus grosse passe d'usinage ou sortira un « beau copeau bleu ». Inutile de dire que cela se traduit parfois par des incidents, mineurs que l'on parvient à dissimuler, plus graves qui déclenchent la colère du chef d'atelier à qui on rapporte un outil cassé ou qui découvre malencontreusement le copeau bleu, témoin irréfutable des sévices infligés à la machine au mépris des consignes pourtant strictes. Ces errements passés, on progresse vers des machines plus précises et plus compliquées. C'est le moment d'apprendre le maniement de la fraiseuse et du tour et d'y découvrir le plaisir de « la belle ouvrage », du soin que l'on apporte aux outils et à la pièce à travailler. Il faut dire que deux ou trois ans ont passé depuis nos premiers traits de lime et coups de marteau sur les doigts. Les faces bosselées et les tranches mal équerrées ont fait place à des surfaces impeccablement dressées à l'étau-limeur et finies d'un fin trait croisé à la lime douce, de beaux assemblages vérifiés aux calibres ou de belles pièces tournées et filetées.
Certains utiliseront pratiquement ce savoir-faire, pour d'autres ce sera simplement une entrée en matière vers d'autres activités, mais je réalise maintenant que le plus beau travail d'atelier a été accompli jour après jour, année après année par ces professeurs qui, partant d'un matériau brut l'ont patiemment dégrossi et façonné pour le métamorphoser au fIl du temps, avec pour outils le savoir-faire et l'envie de le transmettre.
La cour de récréation
La cour de récréation, véritable coeur du collège. Par sa situation géographique d'abord, qui en faisait le lieu de passage obligé entre deux points quelconques pris au hasard. La disposition des lieux et l'absence de tout couloir en faisait le lieu géométrique ou le barycentre (les leçons de Monsieur FRAIKIN ont laissé leur marque) des activités.
L'autre raison tient au fait que la cour de récréation est, il faut le reconnaître, le lieu le plus cher à la plupart des écoliers, venant ensuite le réfectoire et le dortoir pour les internes, le tout distançant de loin les salles de classe.
Cette cour de récréation comportait un ou deux marronniers, indispensables dans toute cour digne de ce nom, mais nettement insuffisants pour fournir suffisamment d'ombre, ce qui n'est qu'un défaut mineur dans notre Thiérache.
Cette cour ne comportait pas non plus de préau, inconvénient ô combien plus désagréable. Tout au plus existait-il une vague galerie couverte, sorte de longue marquise établie le long du bâtiment principal. Son étroitesse ne protégeait pas de grand chose les jours ou le vent chassait la pluie en tous sens alors que nous y étions entassés au dessous, attendant la fin de la récréation, pour une fois avec impatience.
La cour avait ses marées, plusieurs fois par jour. Les grandes marées du matin et du soir, ou externes et demi- pensionnaires s'engouffraient par le portail. Les petites marées de midi et de 13 h 30 avec les externes qui déjeunaient à la maison. Les marées internes pendant les récréations, ou la cour se remplissait et se vidait par les ruisseaux des salles de cours et de l'atelier. Sans oublier les mouvements du matin et du soir, lorsque la file des pensionnaires passait du dortoir à l'étude ou au réfectoire, échappant à la surveillance pour s'égailler quelques instants dans la cour lorsqu'il faisait beau, ou longeant frileusement les murs par les froids matins ou soirs d'hiver.
La cour de récréation, c'était aussi, avec le réfectoire et le dortoir, l'un des seuls lieux d'échange ou il nous était permis de parler, bavarder, mais ici sans les contraintes imposées par les places assignées. Jeux, bagarres, confidences, nouvelles de l'extérieur apportées par les externes, rien d'étonnant que la cour de récréation soit le coeur vivant du collège dans la vie d'un pensionnaire.
Effervescence et curiosité avant la première rentrée comme interne au Collège. Les parents ont reçu la liste des articles indispensables au premier rang desquels figurent trois caisses.
Ceux qui ont été internes savent ce que sont les caisses à provisions et à chaussures, ceux qui ont fait du technique ont connu la caisse à outils. Pour expliquer aux autres, et rappeler aux premiers, parlons un peu de ces caisses.
La caisse à provisions
Par ordre d'importance, la caisse à provisions vient en tête. Au petit déjeuner, l'internat ne fournissait que le pain et le café au lait, tous deux en quantité, et un bol de confiture par table de dix. Rien d'autre, pas de beurre.
En Thiérache! Comme nous venions tous ou presque de la campagne, la fonction première de la caisse à provisions était donc de contenir la provision de beurre de la semaine, accompagnée de friandises et autres améliorations de l'ordinaire plutôt spartiate du réfectoire. Une étude du contenu de ces caisses à provisions aurait été révélatrice de la personnalité des divers propriétaires. Si elles contenaient toutes un beurrier copieusement garni, les indispensables casse-croûte ou biscuits et tubes de lait concentré, on y trouvait selon les cas chocolat et sucreries variées ou saucisson, pâté et diverses charcuteries.
En cours de semaine, cela permettait un peu de troc ou des échanges, au fil des gourmandises et affInités.
Ces fameuses caisses à provisions étaient enfermées dans une armoire fermée à clé, cette dernière étant détenue par le Surveillant Général. La caverne d'Ali Baba ne s'ouvrait que le matin pour le petit déjeuner et l'après-midi pour le goûter.
Cette position stratégique constituait une arme redoutable, un chahut étant parfois puni de la privation plus ou moins longue de l'accès à nos délices gastronomiques. La fameuse armoire, située dans le hall d'accès au réfectoire n'était évidemment pas réfrigérée. Qui aurait imaginé un tel luxe au milieu des années 50 ? Tout se passait bien de la rentrée jusqu'au printemps, mais les choses se gâtaient quelque peu -c'est le cas de le dire -avec l'apparition des premières chaleurs. Le beurre devenait de plus en plus mou, carrément rance à partir du jeudi. Les saucissons transpiraient et les autres charcuteries disparaissaient des boîtes.
Il n'empêche que je repense parfois avec attendrissement à cette caisse à provisions
La caisse à chaussures
L'autre accessoire distinguant l'interne des autres était la caisse à chaussures qui, comme son nom ne l'indique pas ne contenait pas les chaussures mais le nécessaire d'entretien. Les chaussures et leur caisse associée ainsi que les pantoufles pour le dortoir étaient rangés dans des casiers individuels en bas de l'escalier menant au dortoir. Pas besoin d'armoire fermant à clé, une privation de ces boîtes n'aurait pu être considérée comme une sanction! Joyeuse bousculade le soir lors de l'échange des godasses de la journée pour les pantoufles avant le dortoir, activité modérée et bavardages le matin lors du cirage quotidien des chaussures avant la cavalcade vers l'autre bout du bâtiment et les caisses à provisions, ô combien plus précieuses que brosses et cirage dont la plupart d'entre nous faisaient un usage parcimonieux, bien qu'obligatoire.
La caisse à outils
Cette caisse était le signe distinctif des « techniques ». Sa fonction étant de contenir les outils personnels imposait une taille respectable. Devaient y trouver place: marteau, burin et bédane, scie à métaux, équerres, compas à tracer et d'épaisseur, pied à coulisse, ainsi que les divers accessoires tels que sanguine, craies et chiffons sans oublier le bleu de travail plus ou moins soigneusement plié. Tous ces trésors -pied à coulisse et équerre d'ajusteur étaient un lourd investissement pour la plupart des familles -étaient protégés par un solide cadenas dont le perfectionnement reflétait le standing de son propriétaire.
Si les caisses à outils étaient obligatoirement identiques d'apparence et de taille, chacun rivalisait d'ingéniosité pour ,leur aménagement intérieur. Plateaux amovibles, alvéoles et garnissage pour les instruments fragiles, astuces de rangement et compartimentages variés auraient pu en dire long sur leur propriétaire. Ce n'est certes pas un hasard si les possesseurs des caisses les mieux aménagées étaient aussi ceux qui récoltaient les meilleures notes d'atelier et rendaient des pièces faisant figure de petits chef-d'oeuvre par rapport à celles des moins doués.
La rubrique « sanitaires » qui figure par ailleurs ne laisse aucun doute: il n'y avait pas de douches au Collège. Pas de quoi traumatiser des gamins de douze à seize ans vivant à la campagne ou l'eau courante était encore une exception, mais il y a quand même un minimum ! Pour cette raison, nous nous rendions une fois par semaine après la fin des cours aux douches à l'extérieur du collège. C'était une occasion de promenade et d'une joyeuse agitation avant et après cette salutaire séance de récurage. L'ennui, c'était à la mauvaise saison, quand il faisait froid ou qu'il pleuvait. Le trajet de retour était alors particulièrement désagréable quand il fallait passer de la vapeur chaude des douches au froid humide de la nuit tombée avant de repasser au dortoir glacial pour enfin retrouver un peu de chaleur au réfectoire. Le printemps revenu, la sortie des douches redevenait agréable et rompait la monotonie de la vie d'internat.
Effervescence ce soir dans le dortoir. Tout le monde est monté aux casiers dans le grenier pour prendre sa valise, les vacances de Pâques commencent demain. Le silence a du mal à se faire après l'extinction des lumières, le pion arpente le dortoir et surveille les chahuteurs habituels. Le calme finit par s'établir et tout le monde s'endort. En ce milieu du printemps, l'aube commence à poindre bien avant l'heure du réveil, et il n'y a pas de volets ni de rideaux. Un ou deux pensionnaires se réveillent et vont « virer » un lit voisin. Le bruit et les protestations de la victime réveillent les autres dormeurs et en un clin d'oeil une bagarre de polochons généralisée éclate. Les coups pleuvent de partout, des polochons s'éventrent en vomissant un nuage de plumes. Les pions, débordés, tentent vainement de calmer l'agitation frénétique qui fait rage dans un vacarme indescriptible de hurlements de sioux. Nous sommes vraiment excités par la perspective des vacances, excitation qui redouble avec l'intensité de la bataille de polochons qui continue, bien que nombre d'entre eux soient maintenant hors d'usage.
Il n'est pas encore 6 heures du matin, et dans le calme du petit jour le tapage a alerté les filles du collège d'en face qui sont toutes aux fenêtres de leur dortoir, à une centaine de mètres de nous. Le Principal aussi a entendu et vient d'arriver sur les lieux ou les pions ressemblent à des dompteurs sur le point d'être submergés par les fauves. La voix forte du Principal couvre le vacarme et nous ramène à la réalité. Les coups de polochons s'espacent au fur et à mesure que nous réalisons la situation.
On dirait qu'un cataclysme a traversé le dortoir. Plus un lit debout, des matelas et de la literie entassés ça et là, des polochons crevés et des plumes partout. L'autorité reprend le dessus, nous voilà en rangs, descendant en pyjama dans la cour de récréation ou le Principal nous fait aligner au milieu, puis commencer à en faire le tour en courant, sous le regard maintenant narquois des filles du collège toujours aux fenêtres de leur dortoir. Nous tournons ainsi de longues minutes, puis remontons au dortoir pour remettre un peu d'ordre dans le chaos. Fait extraordinaire, nous serons privés de caisses à provisions, pas plus.
Pour un beau chahut, ce fut un beau chahut!
Le jeudi -eh oui, ce n'était pas encore le mercredi à cette époque! -les internes se retrouvaient seuls dans le collège. Un petit air de vacances, mais studieuses! La matinée se passait en salle d'étude, avec autorisation de lire si on avait fini ses devoirs. Le grand événement du jeudi était la promenade de l'après-midi, que nous attendions tous avec impatience.
Selon le temps et l'humeur des surveillants, ce pouvait être une promenade dans la campagne et les bois, le plus souvent
vers l'étang de Blangy ou le Pas-Bayard, ou une après-midi sportive sur le stade des cheminots à l'autre bout de la ville.
Les deux formules avaient leurs partisans, les sportifs préférant indiscutablement le stade des cheminots permettant de disputer des matches de foot acharnés qui n'étaient pas écourtés parla nécessité de rentrer à l'heure pour le prochain cours comme lors des séances d'éducation physique. Pour les autres, c'était l'occasion d'une récréation prolongée et aussi de parcourir la ville dans sa longueur et de regarder les filles au passage.
Les amateurs de nature préféraient l'autre solution, plus souvent choisie en début d'automne après la rentrée ou à partir du milieu du printemps. En automne, c'était le souvenir du temps des vacances à la maison, même si pour beaucoup de fils d'agriculteurs les vacances étaient laborieuses. Au printemps, c'était déjà l'odeur des vacances à l'horizon, vacances de Pâques toutes proches ou grandes vacances qui sont à l'écolier ce que le rivage lointain est au naufragé.
De retour au collège, c'était à nouveau la salle d'étude. A ce moment là, nous reprenions la routine quotidienne. Demain la classe et l'atelier, mais après-demain était samedi, le jour du retour à la maison pour la plupart d'entre nous, à l'exception des punis et de quelques uns dont les parents résidaient au loin -souvent Outre-mer, aux « colonies » comme on disait alors.
Education physique au stade
Les installations du collège étant réduites au strict minimum, il n'y avait ni gymnase ~ terrain de sport. La cour de récréation en tenait parfois lieu, mais nous allions le plus souvent au stade situé derrière la place de la mairie, à quelques centaines de mètres du collège. C'était l'occasion d'une sortie qui rompait la monotonie des jours d'internat, avec la traversée en rangs d'une partie de la ville.
Arrivés au stade, il fallait vite se mettre en tenue de sport, ce qui consistait à enfiler rapidement un short et troquer nos godasses pour une paire de baskets ou similaires. inutile de dire que la frime dans les tenues n'était pas de mise, la publicité et les marques à la mode nous étant inconnues. On passait ensuite au programme du jour, les classiques course à pied, lancer du poids ou saut en longueur et hauteur ou, bien plus apprécié, un match de foot qui voyait deux équipes improvisées s'affronter.
Le tout ne durait pas bien longtemps, il fallait vite se remettre en tenue de collégien et retraverser la ville pour rentrer au collège à l'heure pour le cours suivant.
L'hiver 57 est resté dans les mémoires comme exceptionnellement rude, particulièrement dans notre région ou je crois que le thermomètre était descendu en dessous de -25°. J'ai parlé par ailleurs de la manière dont étaient chauffées les salles de classe et dont ne l'étaient pas le dortoir et les lavabos.
A début de la vague de froid, nous avions commencé à nous déshabiller dans le lit pour enfiler nos pyjamas. La toilette se fit brève, jusqu'à ce que, les canalisations étant gelées, nous soyons contraints de nous passer de toilette matinale.
Contrainte bien légère au demeurant. Le froid devenant plus intense, il ne fut bientôt plus question de s'habiller ou de se déshabiller. Le matin, nous enfilions les vêtements sur les pyjamas, ce qui simplifiait les choses le soir. On pouvait ainsi distinguer les internes en observant les pyjamas dépassant sous les autres vêtements, mais j'imagine que la vue n'était pas indispensable pour faire le distinguo vu les canalisations gelées des lavabos !
Quant aux classes, il faisait un froid de canard dans les baraquements dépourvus de toute isolation. Le froid passait à travers les interstices mal joints des parois et fenêtres.
De retour à la maison un samedi, mes parents décidaient alors que je resterais à la maison en attendant que les choses s'améliorent. Il devenait d'ailleurs difficile de circuler sur les routes et les bus ne circulaient plus, je ne retournai à Hirson qu'à la fin de cette vague de froid.
L'arrivée du dégel provoqua une débâcle des glaces sur la rivière telle que nous n'en avions jamais vue. Il me reste le souvenir d'une énorme plaque de glace de plusieurs dizaines de centimètres d'épaisseur tombant du barrage de l'entrepôt frigorifique.
Route d'hiver
Après deux ans de pension, je suis devenu demi-pensionnaire. Pour mes quatorze ans, mes parents m'ont offert une Mobylette qui me permettra de faire le trajet quot1dien et d'échapper au régime de la pension que je n'appréciais guère.
Nombreux sont les externes et demi-pensionnaires qui, habitant à plusieurs kilomètres viennent au collège à vélo, mais nous ne sommes que .trois ou quatre à posséder une Mobylette ou un Solex, un autre possédant, luxe suprême, une moto 175 cm3. Inutile de dire que nous faisons l'envie générale.
Cependant le trajet n'est pas toujours une partie de plaisir. Le moteur soulage certes de l'effort physique mais ne peut rien face aux intempéries. La pluie et le brouillard ne posent guère de problèmes avec de bons vêtements imperméables, mais il en va tout autrement lorsque l'hiver s'installe et amène neige et verglas. Tant que la couche de neige n'est pas trop épaisse, on peut tenter sa chance sans attendre le passage du chasse-neige, ce qui ferait manquer les premiers cours. Dans la nuit encore noire, il faut arriver à se frayer un chemin dans la neige fraîche. La circulation est réduite, voire inexistante, la partie la plus délicate est la traversée de la forêt avant St Michel. Si on y parvient, c'est généralement gagné, la toute d'Hirson étant moins difficile. D'autres matins, le verglas transforme la route en patinoire. Faire le trajet relève du numéro d'équilibriste, le critère est alors le nombre de chutes par unité de distance. Une, on continue, deux, on se pose la question, trois on rebrousse chemin si on n'est pas trop loin. J'ai établi mon records à 3 « gamelles » en moins de 500 mètres !
Dans ce cas, la seule solution consistait à attendre le passage de l'autobus, s'il parvenait à rouler. Par chance, l'arrêt était juste en face de la maison de mes parents qui servait donc de refuge. En effet, certains de mes camarades de classe habitant le village passaient par là et s'arrêtaient pour le même motif que moi. Nous observions alors l'arrivée des autres qui, après avoir chuté à leur tour venaient grossir le nombre de ceux qui attendaient l'autobus qui généralement n'arrivait pas non plus à passer.
Ces jours là se transformaient donc en vacances forcées, et je gage que les classes devaient être singulièrement dégarnies, une bonne moitié des élèves venant des bourgs et villages à 10 kilomètres à la ronde.
Printemps 1960. Le troisième trimestre vient de commencer, on se prépare au « bac ». C'est ma dernière année à Hirson, l'année prochaine il n'y aura pas de classe « TM » faute d'élèves. Ceux qui veulent passer leur seconde partie du bac « Maths et technique » et préparer les concours d'entrée aux écoles d'ingénieur devront donc changer d'établissement.
Pour moi, ce sera à Lille.
L'année scolaire est donc en train de se terminer.
Depuis plusieurs mois, un vieux serpent de mer est devenu réalité.
Depuis des années que l'on parlait d'un nouveau collège, tes travaux ont enfin commencé. Personne n'y croyait plus, mais pourtant c'est vrai. A la périphérie de la ville, en direction de Blangy, d'énormes engins de terrassement ont entrepris leur ronde. Après les cours, nous allons parfois observer ces monstres qui en une ou deux minutes avalent plusieurs dizaines de tonnes de terre et laissent derrière eux une surface plane et nette ou s'élèveront dans quelques mois les nouveaux bâtiments.
Pour moi, c'est terminé, je ne verrai ce nouveau collège que de l'extérieur. Je resterai à jamais élève de vieux collège où résident des années de souvenirs. Le nouveau sera certes moderne et confortable, surtout comparé au confort spartiate de l'ancien, si on peut même employer le mot « confort ». Mais il n'empêche que le dortoir glacial, les lavabos sans eau chaude et parfois sans eau du tout et ses salles de classe vieillottes et parfois mal chauffées resteront un souvenir heureux. Il en faut peu à quinze ans, et surtout à cette époque. Pour moi, le Collège d'Hirson, ce sera toujours cette vieille bâtisse dont un jour il ne restera que le souvenir et des photos jaunies.
Jean Rouffet
22.02.2012 10:49
Bonjour , j'ai bien connu cette époque . Pépère s'appelait MrLevasseur et ses profs Ringot et Martin . Mon père était le prof de Gym et c'était Papa Rouffet
COULON
27.12.2011 18:29
VOUS AVEZ OUBLIE THIEU SUR G de 1950 à 1958
Jacques Durieux
14.02.2012 12:20
Léon Robin parle de Mr Thieu dans la rubrique administration avec une photo sur laquelle il figure.
Derniers commentaires
16.11 | 15:11
Bonjour à tous, je suis à la recherche de photos de mon grand père, Michel Desson. De ce que je sais, il es née en 1951 et aurais été au collège en mécanique..merci à ceux qui m’aideront..
25.10 | 10:01
J'étais en 2eAB puis en 1ère A4 en 1968,1969 et 1970.
02.06 | 07:03
Ce n'est pas une photo de 1966. Elle date de 1973 .classe de 2nd T. MICHEL LAMPSON professeur de math au centre.
06.05 | 23:05
J'ai connu M. Lajarrige quand il était principal-adjoint au collège Georges Cobast d'Hirson. Je débutais en tant que professeur d'anglais à l'annexe de la rue Camille Desmoulins.